10 mai 2007

Les quatre temps

Premier temps

Il fait gris. Gris de nuages. Un gris de neige sans neige. La fraîcheur se transforme en froideur. Les frissons s’installent dans les peaux, parfois jusque dans les os. Les eaux se cristallisent dans les flaques qui miroitent le ciel. Zéro. On va en bas. On ose. Des chiffres qui n’existent pas normalement. Le temps se gèle et se surgèle jusqu’à en faire claqueter les dentiers. Après s’être usés jusqu’aux gencives, on entend alors les mouches grelotter. Le sang-froid est de mise. Et puis, après la semaine de fête du petit Jésus viennent enfin les poésies polaires.

Le ciel vient tout à coup sale de neige. Une opacité mesurable : un flocon par centimètre cube. Un enneigement général. Une poudreuse qui vole au vent. Même la beauté y prend goût. Elle est belle la neige, et comme elle a neigé ! Ma vitre est un jardin de givre. Elle tombe droit et gros. On pourrait en boire quelques gorgées glacées en ouvrant la bouche. On ne le fait pas. C’est trop beau. Ce sont comme de petites ouates qui se promènent en suspension dans la brise. L’air est si dense de boules de froid qu’on pourrait l’escalader, en s’appuyant sur les grains blancs. Une neige de Noël, une neige de film, une neige de rêve. Du caca fou de nuage. Une tempête dans une fenêtre. Du quatrième étage, on ne la voit pas s’accumuler, elle tombe sans atterrir. Les conséquences de la tempête nous sont égales. C’est seulement lorsqu’on se lève et qu’on approche de la vitre qu’on voit. Mais on préfère rester ignorant. De cette façon, on imagine ce qu’on veut pour le bas. Devant, les minous de poussières blanches dégringolent en planant. Une danse unique qui nous fait prendre conscience de la tridimensionnalité de la vie. Les flocons commencent tranquillement à ralentir leur cadence. Il n’en reste bientôt que quelques-uns qui s’amusent entre eux, comme des jeunesses avant qu’on les appelle pour souper. De jeunes rebelles en évanescence.

Les journées vont bientôt rallonger, ils pourront donc rester plus longtemps à l’extérieur. Le printemps s’installera goutte à goutte. Les herbes reprendront leur place dans la terre regorgée d’eau. La verdure reverdira. Les rues seront trafiquées de piétons et les dalles de trottoir se rapprocheront par dilatation.


Deuxième temps

Oui, il se passera bel et bien tout ça. Il y a même une raison très précise qui explique ces manifestations de la nature, une raison dont personne ne s’est jamais douté. Aujourd’hui, je vais vous le dire. Je vais vous dévoiler le grand secret du printemps.

Bon, tout le monde sait qu’à cette période de l’année, et ce, chaque année, les mâles courtisent les femelles. Chaque fois, ce sont les mêmes ritournelles. Ils font tout pour séduire leurs belles. Ces coquetteries animales, cycles hormonaux ou encore autres flaflas humains sont autant de raisons pour lesquelles on appelle le printemps « la saison des amours ». Ça, vous le savez depuis longtemps. Toutefois, vous vous trompez.

En vérité, la principale raison pour laquelle le printemps est la saison de l’amour, c’est tout simplement parce que les saisons SONT en amour. Il s’agit plus précisément d’une liaison entre l’été et l’hiver. Surpris ? Pourtant, c’est bel et bien vrai et les signes ne trompent pas. Bizarrement, dès que l’hiver finit, l’été, tel un mâle à l’eau de rose, fait voir ses belles journées ensoleillées. Étrange non ? Comme si ce n’était pas assez éloquent, il fait remonter la sève des érables pour montrer sa virilité et en profite pour sucrer les lèvres tendres de sa jolie. C’est évident qu’il est en amour non ? Vous voulez une autre preuve ? Tiens, pendant ses belles journées, l’été appelle, par des roucoulements inaudibles, les oiseaux du Sud pour les faire revenir, à coup de mille, danser au milieu du ciel bleu. Tout ça pour épater l’hiver. Et ils viennent! Vous regarderez le ciel au printemps, c’est rempli d’oiseaux. Bref, comme tous les mammifères pendant cette période de l’année, les techniques qu’utilise l’été sont multiples pour enjôler sa mignonne. Ses jeux de séduction sont efficaces et l’hiver s’en trouve charmée! L’hiver, une fois séduite par l’été, entre en chaleur et c’est alors que toutes les manifestations environnementales que l’on connaît surviennent. Eh oui, la nature changeante du printemps vient directement de l’amour enflammé des deux saisons ! On parle ici des journées qui se réchauffent et bien sûr de la neige qui fond. Sinon, ce serait dû à quoi vous pensez ? Les journées ne se réchauffent pas toutes seules ! Ça prend un hiver, un été et un amour entre les deux. Il en résulte un temps où tout est plus doux, beau et joyeux. C’est l’amour quoi ! Et c’est le printemps ! C’est aussi la saison qui annonce l’été. En fait, cet amour en va de la survie de l’été. Je vous explique.

Ce rituel, qui revient chaque année, commence dès le 21 mars. Après environ un mois de flirt, les deux saisons se retirent dans les bois pour donner la vie aux prochains mois. Au lendemain de cette soirée passionnée, les semences font déjà leur chemin. Bientôt, les jeunes pousses apparaîtront aux bouts des arbres et les petits germes naîtront dans le sol. Les pluies chaudes de papa Été les aideront à pousser, pendant que maman Hiver s’occupera de souffler les semences restantes partout sur la contrée. Une fois leurs bébés grandis, fleuris et feuillus, les parents pourront partir, pour laisser le nouvel été prendre toute sa place. Et par conséquent, pour que notre été ait lieu. Justement, celui-ci s’annonce très mouvementé.


Troisième temps

« ÇA FAIT RIRE LES OISEAUX, ÇA FAIT CHANTER LES ABEILLES. ÇA CHASSE LES NUAGES ET FAIT BRILLER LE SOLEIL. ÇA FAIT RIRE LES OISEAUX ET DANSER LES ÉCUREUILS, ÇA RAJOUTE DES COULEURS AUX COULEURS DE L’ARC-EN-CIEL, ÇA FAIT RIRE LES OISEAUX. OH OH OH RIRE LES OISEAUX. » Tu ouvres les yeux au son du cadran qui semble se déchaîner sur le kitch. Le mieux c’est de rester encore quelques minutes dans ton lit pour écouter la prochaine chanson afin de ne pas avoir la Compagnie Créole dans la tête toute la journée. Une pub, une autre et une autre et ensuite la météo. Chaud. 26 degrés. Avec le facteur humidex, 32. Tu ouvres la fenêtre de ta chambre et constate la chaleur. Les oiseaux, de leurs piaillements enflammés sont aussi là pour en témoigner. Tu les aimes, les oiseaux. Ils tiennent compagnie à tes oreilles le matin. En fait, il n’y a pas mieux qu’un chant d’oiseau pour commencer une journée en beauté.

Il fait beau et ta marche matinale est agréable. Tu dois par contre te soumettre au vacarme de la ville. La musique forte sortant des automobiles aux fenêtres baissées, les sifflements envers les filles en mini-jupes, les moteurs vrombissants, les sirènes d’ambulance et les klaxons au loin. Rien de très agréable. Tu te diriges donc vers le parc pour trouver le calme et le bruissement du vent dans les arbres. Même si tu ne retrouves pas ce dernier, parce qu’il n’y a tout simplement pas de vent aujourd’hui, le bruit de tes pas sur l’asphalte sec est déjà plus relaxant. Tu t’approches d’un banc et t’assieds. Un jeune couple fait de même sur le banc voisin. Tu les entends se plaindre de la canicule : « J’ESPÈRE QUE CE SERA PAS COMME ÇA TOUT L’ÉTÉ ! SI SEULEMENT ON POUVAIT AVOIR UNE PISCINE ! MAIS NON, ON N’A MÊME PAS ASSEZ DE PLACE POUR AVOIR UN BOYAU D’ARROSAGE. VA FALLOIR ALLER SE BAIGNER DANS L’EAU SALE DE LA VILLE. ÇA ME FAIT CHIER ! PIS POURQUOI ON DOIT TRAVAILLER L’ÉTÉ ? SÉRIEUSEMENT LÀ, Y FAIT CHAUD, LES BOSS COMPRENNENT PAS ÇA ? C’EST QUOI C’TE CHALEUR LÀ AUJOURD’HUI ! Y POURRAIT PAS AVOIR UN PEU DE VENT AU MOINS ? » Les Québécois sont tellement chialeux, te dis-tu. L’hiver, il fait toujours trop froid et l’été, trop chaud. Le couple se lève et continue sa marche. Toi, tu fermes les yeux et profites de la chaleur pour absorber des vitamines. Dans tes pensées, tu fuis la ville pour te retrouver à la campagne. Tu entends les grillons dans les herbes hautes, les abeilles butiner, les moustiques te tourner autour de la tête. Tu t’approches d’un ruisseau, où le doux clapotis de l’eau te rafraîchit l’esprit. Plus loin, un étang fait entendre ses libellules et fait parler ses grenouilles. Elle te crie : « ATTENTION ! » Tu reviens alors à la réalité et tu vois un jeune en patins à roues alignées qui fonce tout droit sur ton banc. BANG ! Il a arrêté sa course à quelques centimètres de toi. Le jeune et le banc en sont un peu ébranlés. Il s’excuse et continue sa route. Le cœur te débat. Tu étais si calme quelques minutes avant. Tu veux retrouver ce moment. Tu tends l’oreille et écoute les pépiements. Tes amis. Il y en a toujours un autour de toi que tu peux écouter chanter. Il ne faut qu’un gazouillis pour te faire sourire. Voilà que ta bonne humeur est revenue. Tu te lèves et continue ton chemin, gardant en mémoire ce moment de bien être.

L’après-midi se déroule au son du jazz, pour cause de festival. Tu t’arrêtes regarder quelques spectacles de sax ici et là et après t’être bien ressourcé l’oreille tu vas prendre le métro pour l’île Sainte-Hélène. À ta sortie de la station, tu te rends compte que le temps a passé vite; la brunante commence déjà à s’installer. Sur l’île, les oiseaux sont encore plus nombreux. Ils sifflent tous en chœur des airs de nature et des chants au soleil couchant. Après un après-midi haut en rythmes, tu assisteras à une soirée haute en couleur. Du haut du pont Jacques-Cartier, avec tes écouteurs syntonisés, tu attends les feux d’artifice avec impatience. Ils ne tarderont pas. Et ah ! Voilà ! La musique commence ! Ils pétillent devant tes yeux sur des airs mélodieux. POW ! Les bleus explosent. FIUUUUU ! Les dorés tournoient. PAAW ! Les verts deviennent rouges. Tu admires et tu souris, repensant aux oiseaux qui doivent aussi contempler le spectacle du haut de leur arbre. Est-ce aussi magique à leurs yeux?


Quatrième temps

Mon visiteur à plumes vient de s’envoler. J’aime bien jaser avec lui, surtout des changements du temps présent. Justement, ces temps-ci, les couleurs jaillissent autour de moi. Vous ne pouvez pas imaginer à quel point mes frères et mes soeurs sont magnifiques. Chacun prend un teint qui lui est propre, qui lui ressemble. J’opte quant à moi pour le rouge, un rouge vif. La couleur du feu, de la puissance. Tranquillement, mes veines se gonflent à la vue du soleil. Le sang passe à travers les branches de mon hôte et emplit mon organisme d’une intense vivacité. Je me sens alors étrangement fort. Mon corps se photosynthèse et devient rouge. Un rouge énergique, comme ces enfants qui recommencent l’école. Ils passent en dessous de moi justement. Petites têtes blondes, rousses, noires… Ce sont les brunes mes préférées. Les plus jeunes avec leurs parents. Les plus vieux avec leurs amis. La vie pleine d’avenir. Ma propre vigueur ne leur arrive pas à la cheville. Ça me donne un coup de blues. Le temps passe dis donc ! Hier, je n’étais qu’une jeune pousse. Le temps se voit par ici, ce n’est pas mêlant ! Et particulièrement à ce temps-ci de l’année. L’entourage au complet est rendu coloré. Ce sont les couleurs de la sagesse qu’on nous dit. Eh bien pendant qu’on nous dit cela, j’apprends de mes cousins lointains que leurs fruits, rendus à maturité, sont en train de tomber partout. La maturité qu’ils disent. Des fruits rouges, pour la plupart, comme moi. Je commence à me questionner. Cette force et cette passion pour la vie qui m’habitent ne seraient peut-être que temporaires ? En attendant la réponse, les journées passent, les semaines passent, les mois passent et voilà que l’orangé sort de ses gonds. Oui, en un clin de jour, l’orange est rendu à la mode. Le cramoisi n’a qu’à aller se faire voir. Les citrouilles dictent maintenant la tendance de la saison. Le jaune-rouge est « in », mais le rouge est « out ». C’est à n’y rien comprendre. Ah tiens, les têtes brunes se promènent ce soir. Certaines caboches ne sont pas comme d’habitude par contre. Elles sont plus grosses, plus bizarres, pointues, vertes, en plastique… C’est passager. Ça ne dure pas. On dirait une fête d’un soir. Un soir. Çoir. Sssss. Le dernier que je me souvienne.

J’ouvre mes yeux. Je vois le sol, comme à tous mes réveils. Je suis encore accroché à ma branche. Je vois mes frères, mes sœurs, comme d’habitude, mais je me sens faible tout à coup. Comme si mon pied ne captait plus l’énergie dont j’ai besoin. J’ai envie de fermer les yeux et me rendormir. Je me sens si épuisé. Le rouge. La force. La pass… Dormir. Le sol m’étourdit. Il est là et j’ai le goût de m’en approcher, encore plus. Encore plu…

J’ouvre mes yeux. Plusieurs de mes sœurs et frères ont disparu. Je commence alors à les voir tomber, un après l’autre. C’est le vent. Le vent les pousse par terre. Vers le sol. Je vois le sol. Il me regarde et m’attend. Je me sens si fatigué. Je sens mon pied plus mince que jamais. La branche qui a été mon maître pendant tout ce temps ne veut plus de moi. Je me sens trahi, mais en même temps, je n’ai pas l’énergie pour être rancunier. Les têtes brunes s’amusent à lancer mes frères morts dans les airs. Les petits ont l’air si heureux. Mon seul désir est de me retrouver dans leurs mains. En même temps, je ne me sens pas prêt à laisser mes proches. Ils sont là, tout autour de moi, fragiles et gémissants d’incompréhension. J’ai encore la possibilité de les aider, de les tenir heureux quelque temps. Ils ont besoin de mon soutien. Je ne peux partir. Les petits cocos continuent de s’amuser. Mes yeux sourient, mais mes doigts se plissent. Mon corps entier se plisse et bientôt, je le surprends à accumuler les maladies. Tout cela dû au temps, au froid qui s’installe et aux journées qui raccourcissent. Je n’ai jamais vu cela. On dirait que c’est toute l’atmosphère qui en a soudainement contre moi. Maintenant ce sont mes veinules qui commencent à battre la chamade, par peur de se retrouver sans nourriture. Le froid environnant s’intensifie. La fin approche, je le sens. Mon corps s’engourdit. Que se passe-t-il lorsqu’on se détache de sa branche ? Comment se passe la tombée ? Sommes-nous encore conscients pendant la descente ? Est-ce que les petits anges joueront avec nous pour la peine ? Et reviendrons-nous au printemps prochain ? Sclick. Et la petite feuille se détacha de l’arbre.

Par Marie-Ève

3 commentaires:

Éloïse a dit...

Magistral! Superbe! Vraiment, j'ai été séduite par ton rythme et tes mots colorés. Le changement de point de vue est également très bien maitrisé puisque j'ai eu l'impression de vivre une année au complet à la lecture de ton texte!

Félicitations!

Éloïse

Plume ardente a dit...

Bonjour Marie-Ève, je suis d'accord avec Éloïse, ce texte est excellent, il y a une gradation des descriptions et sentiments qui s'y rattachent...

Je trouve qu'on devrait essayer de créer un certain "achalandage", faire en sorte que les gens viennent visiter notre site. Bref, le fair connaître. Mettre le lien vers les associations littéraires par exemple; y a-t-il moyen de faire une sorte de référencement ? En connaissant des sites d'intérêts littéraires, rédactionnels, on pourrait leur demander d'inscrire notre site dans leur page "autres liens". Qu'en penses-tu ? Qu'en pensent les autres collaborateurs ?

Peut-on ajouter d'autres textes, d'autres photos ? Un site ou un blogue qui ne change pas, ne se renouvelle pas risque de s'éteindre, non ?

auteurs a dit...

Pour faire du référencement, on doit aller poster des commentaires sur d'autres sites/blogs et mettre notre lien en signature. Si vous voulez vous promener sur le net pour en trouver, allez-y! Vous êtes parmi les maîtres de ce site après tout!

Si Marie invite ses prochains élèves à m'envoyer leurs textes, je pourrai continuer de le renouveler. Sinon, ce n'est pas bien grave. Il va rester tout de même éternel.