10 mai 2007

Le parfum du souvenir

Je cueillis deux marguerites en bordure de la falaise qui dominait l’océan, et les tint fermement dans mon poing. Les yeux clos, je humai leur doux parfum. L’adrénaline montait en moi. Mon cœur cherchait à défoncer ma poitrine, tant il battait fort. J’avais chaud. Je haletais. Rien d’autre ne m’habitait à cette seconde que la fureur de vivre, le désespoir de devoir quitter cette vie, si riche, mais ainsi allait mon destin.

Seule, je regardais l’horizon. Le soleil rosissait le ciel du petit matin. Un vent léger transportait des odeurs d’embruns. Je les respirai à pleins poumons. J’étais atteinte d’une maladie incurable. Il ne me restait plus que très peu de temps sur cette terre. Mes tendres amours, mes bébés, tous deux de musiciens accomplis, se devaient d’accepter le lucratif contrat offert, et ne devaient pas restez auprès de moi à me regarder mourir. N’est-il pas vrai que les adieux les plus longs sont les plus douloureux ?

« Ma fille, mon fils, vous êtes ma grande œuvre, vous me manquez déjà. J’emporte avec moi vos doux sourires. ». Le rugissement de la mer couvrit mes paroles. Elle, dont la houle respirerait pour moi dorénavant.

Je vous ai emmené voir la mer à plusieurs reprise durant les vacances scolaires. Je tenais tant à partager avec vous cet amour que j’éprouve pour l’océan. J’espérais avoir su vous faire découvrir les beautés de ce monde.
Je me souvins de vos jeux d’enfants. Toi, ma puce qui voulait tellement être un chien, et toi, mon petit garçon tout blond et si tendre, qui ne prononçait que la dernière syllabe de chaque mot, créant ainsi ton propre jargon.

Je regardai les vagues de la marée montante couvrir peu à peu les rochers de la plage, puis, me retournai. Dos à l’océan, je contemplai la lumière jaune du levant ranimer les arbres du bosquet. Je fermai les yeux et retins mon souffle. Maîtresse de ma mort, je basculai vers le jour naissant.

Le vent sifflait à mes oreilles accompagnant mon hurlement de détresse qui brûlait ma poitrine et ma gorge. Mes yeux, exorbités, voyaient le ciel et le surplomb rocheux de la falaise reculer à vive allure, tandis que dans mon esprit, paraissaient des fragments de vie. Les moments tendres et les personnes chères à mon cœur se présentèrent à moi, une dernière fois.

Pour les vacances d’été, mon frère, mes soeurs, mes parents et le gros chien parcourions la côte est américaine dans la familiale. Tous entassés les uns sur les autres, jusqu’en Caroline du Sud. 24 heures ! Pêle-mêle, les bagages s’empilaient dans le coffre arrière de l’automobile. 24 heures, entrecoupées de pauses repas et pipis.
Le chien n’en pouvait plus de rester aux pieds de ma mère, bavant partout et suffocant sous les 100 degrés Fahrenheit de l’époque. Nous allongions des jambes mouillées de transpiration en travers de l’habitacle. Nous tentions de suivre le chemin sur la carte routière où nous nous amusions des villes aux noms étranges.
Enfin, l’arrivée au camping. La trop grande chaleur humide, nous rendait la mer encore plus attirante. Tellement, que la première chose que nous faisions était d’enfiler rapidement notre maillot de bain et de courir, riant, vers l’océan, dans lequel nous plongions avec délices, effaçant la fatigue et la crasse du voyage.

Le vent m’assourdissait, mais je ne ressentais plus aucune douleur, que l’assurance du sacrifice à accomplir. Je n’avais plus de choix à faire maintenant. J’étais libérée et me détendis donc, l’esprit toujours en ébullition. En attente du moment ultime de ma vie, je refermai les yeux…

…et me rappelai les parties de cartes avec mon père. Assis à la table de la salle à manger, par un dimanche après-midi pluvieux, nous jouions à la « bataille ». Un jeu simple, sans intérêts, si ce n’était celui qu’il nous portait. Nous jouions chacun notre tour, en tête-à-tête avec lui, suffisamment longtemps pour combler notre besoin de lui. Mon père mettait beaucoup d’efforts à exagérer le pouvoir de certaines cartes, pour mieux animer la partie. Puis, certains soirs, après le repas, il nous assoyait sur ses genoux et nous berçait. La plénitude ressentie fait partie de mes meilleurs souvenirs d’enfance.


Toutes mes appréhensions avaient disparues, j’étais calme. Je ne pesais rien. J’ouvris les yeux. La lumière du matin embellissait, faisant ressortir l’ocre de la terre qui défilait à toute vitesse devant moi.

J’entendis les grelots tinter. La douce voix de ma mère qui disait : « C’est Noël ! ». Fatiguée, mais heureuse, j’hésitai, que quelques secondes. Bien sûr que je devais me lever : c’était Noël ! Je sortis mon corps douloureux de sommeil hors du lit et le traîna le long du couloir, jusqu’au salon, où j’entrevoyais les lumières colorées du sapin refléter sur le mur. Je m’installai près de mon frère et de mes sœurs, devant l’arbre illuminé et embaumant l’air. Tout me paraissait féerique.

Un village s’étalait à son pied, tout blanc de ouate, où chaque maison irradiait d’une petite lumière colorée. Des glaçons argentés couraient en ruisseaux silencieux le long de falaises formées de petites boîtes vides, recouvertes de papier brique et d’ouate. Les yeux des enfants brillaient devant tant de merveilles.

Les cheveux au vent, molle et abandonnée, vidée de mes forces, je tombais à toute allure vers la mer, ma mer, ma mère, maman ! Une seule et même émotion.

Je me rappelai de ton continuel dévouement pour nous. Tu avais raison d’être fatiguée. Les seuls moments de grâce que tu t’accordais étaient l’écoute de ton émission de télévision favorite. Tu anticipais de nous savoir endormis.
Lorsque tu plongeais vers l’imaginaire dans la lecture de ton roman, nous te retrouvions, allongée dans ton lit, appuyée sur des oreillers, dans une atmosphère de tranquillité. Le soleil filtrait par les draperies une lumière diffuse. Même alors, quand nous entrions dans ta chambre, silencieusement, tu posais ton livre et nous laissais nous allonger à tes côtés ou poser la tête sur ton ventre, moelleux et confortable. Nous retrouvions ton odeur familière, rassurante. Alors débutait une série de jeux, de rires, de chatouillis. Tu nous as enseigné l’amour et le don de soi. Jamais, je n’avais l’impression de te déranger.

Merci de tant de merveilleux enseignements, que j’ai pu transmettre à mon tour. Pardonnez-moi, tous. Je sais, maman, que tu comprendras. Tu en ferais autant. Je te retrouverai bientôt et me blottirai de nouveau dans tes bras aimants. Me faire minuscule et légère comme en ton sein. Ma maison pour l’éternité. Là d’où je viens, je vais, avec bonheur.

Je quitte ce monde de souffrances et d’amour, sans regrets, en paix avec moi-même. Je lui ai donné le meilleur de moi. Tout ira mieux maintenant. Je me libère et tous, avec moi. Allez mes amours, vivez pleinement.

Le vent soufflait toujours à mes oreilles. J’étais toujours de ce monde. Comme l’esprit fonctionnait vite ! Le temps n’existait plus. Je ne me rappelais plus rien maintenant et n’entendais plus le vent. Je n’avais plus mal. Je continuais de tomber puis me sentis atterrir sur un lit, si douillet… Ma main s’ouvrit et libéra mes deux marguerites.

Le soleil émergea enfin de son lit salé, bleuissant doucement le ciel. Une journée toute nouvelle débutait.

Par Mireille

1 commentaire:

Éloïse a dit...

Quel beau texte rempli d'images et de souvenirs... Tu rends très bien l'instabilité de personnage à travers sa mémoire. Bravo!